A l'Ouest rien de nouveau
DD
Difficulté **
Profondeur ****
Originalité ****
Emotions ****
Remarque appartient à la catégorie méprisée des auteurs scolaires, enseignés aux adolescents. Comme pour London, Melville, Kipling ou Shelley, cette assomption est absurde : talent et profondeur sont au rendez-vous chez cet écrivain remarquable, sans jeu de mots, et les 20 millions d'exemplaires vendus le certifient. Car le traitement de son sujet, la guerre moderne, est violemment adulte : sexe, scatologie, chirurgie, violence, amputations, suicides sont présents dans « à l’Ouest rien de nouveau ». L’œuvre ne cache rien des traumatismes du corps, qu’elle juge pourtant mineurs par rapport à ceux de l’esprit et de l’âme.
Le style de l’auteur s’ajuste parfaitement à sa narration : direct et viscéral dans les dialogues, il devient poétique et mélancolique dans ses descriptions et réflexions.
Les personnages sont montrés à l’aune de la tragédie qui les guette : ces morts en sursis passent comme des fantômes, aimés, mais déjà regrettés avant leur disparition. Dans cette ambiance fatale, la faucheuse est l’adversaire central : à la fois mécanique dans sa préférence pour la chair fraîche, coquine dans ses choix absurdes, mais impitoyable quand elle sanctionne chaque moment de gloire ou d’humanité.
La structure du roman, certes chronologique, évoque « l’archipel du goulag » par son chapitrage radical : les épisodes sont très distincts, avec des ambiances et des contextes différents. Comme chez Soljenitsyne, le lecteur trouvera dans ce contraste un moyen de respirer après des moments difficiles, avant de replonger dans un univers radical. Remarque décrit ainsi l’ensemble des étapes de la vie du soldat : enrôlement, formation, troupe, front, permission, période de calme, hôpital, pertes… Avec un talent consommé et la crédibilité de son propre vécu, il rend la chose passionnante et globale, au-delà d’un destin individuel.
La majorité des œuvres de la BE ont été adaptées au cinéma et ce titre ne fait pas exception. Comme souvent la tentative est illusoire devant la profondeur du texte : le film de 2022, plébiscité, ne peut qu’effleurer la réalité crue des corps et tenter d’incarner les réflexions profondes du narrateur. Car la force du roman repose sur l’alternance de dialogues crus ou poignants avec une introspection sombre et sublime. Le héros analyse l’impact de la guerre moderne sur l’individu et ses conclusions sont définitives : pour Remarque, rien de positif ne naît de cet univers et la fraternité des soldats n’est qu’un élément nécessaire à la survie, à la fois définitive et superficielle.
Les œuvres sur la guerre sont rares dans la BE et celle-ci est la seule à affronter le sujet au premier degré, sans humour ni divinité, ce qui la rend incontournable. Sans cautionner un pacifisme trouble qui favorisera ensuite les idéologies les plus atroces, le juste avertissement émis par l’écrivain doit rester dans les consciences : la guerre sera une atrocité, les héros n’existent plus.
Le titre et la conclusion du récit s’accordent dans une absurdité criante qui symbolise toute la puissance de cette oeuvre. « A l’ouest rien de nouveau » est un chef d’œuvre sous-estimé dont la modernité reste totale, sans concession, méthodique et profonde.