Portrait de l'artiste en jeune homme
Difficulté ****
Profondeur ***
Originalité **
Emotions *
Inspirateur de Borges, Nabokov ou Burgess, Joyce a créé un monument : « Ulysse » et « Portrait de l'artiste en jeune homme » en constitue la version accessible. Pour preuve, le titre est considéré comme le 3ème meilleur roman anglais du vingtième siècle par la Modern Library. Autobiographique, le roman aborde les thématiques majeures de l’auteur : religion, esthétique, amour, famille.
Le style de Joyce est unique : d’une rare technicité (avec du vrai latin dedans), il intègre le patois irlandais à des dialogues pointus et soumet sa prose souvent lyrique à des envolées de poésie pure : chants, sonnets … Inspiré par Shelley (citée dans le roman), il décrit avec style personnages et lieux, ajoute une introspection violente et des dialogues profonds.
Le roman se décompose en plusieurs parties : enfance, amour, passion religieuse, philosophie artistique, choix de vie. Chacune est parcourue par un style en harmonie avec son thème : la naïveté du début précède la passion adolescente avant la réflexion philosophique et les envolées artistiques.
Malheureusement ces variations n’ont pas de liant, certaines parties ne sont pas homogènes, voire ne respectent pas la chronologie : le recueil de nouvelles aurait mieux fonctionné. Ainsi la partie religieuse commence par une description de l’enfer largement empruntée à Dante avant de dérouler un parcours masochiste de saint. Chaque phase est ici impressionnante et éclairante, mais l’auteur semble plus intéressé par l’écriture de sa légende et un auto-apitoiement assez pénible que par la construction d’une histoire cohérente qui parlerait à tous.
La dernière partie est plus structurée et accessible au lecteur comme si l’auteur en se trouvant arrivait à nous trouver. Les dialogues sont plus nombreux et le personnage plus « lisible «, malgré la technicité de ses discours. Pourtant son manque d’affect et son égotisme réduisent sensiblement l’émotion ressentie.
Considérée comme l’œuvre de Joyce la plus claire, « Portrait de l'artiste en jeune homme » est certes compréhensible, mais le refus de la structure, les envolées lyriques ou philosophiques, l’étrangeté des dialogues obscurcissent le texte et rendent les trois premiers chapitres rébarbatifs. Chacune des étapes à partir de la découverte de la sexualité apporte pourtant une vision originale des sujets abordés.
Une œuvre encensée mais nombriliste, comme d’ailleurs la production de certains des zélotes de Joyce : Beckett ou Kerouac par exemple.