
Terres défrichées
Difficulté ****
Profondeur ***
Originalité ***
Emotions ****
Cholokhov est déjà connu lorsque sort le premier tome des "terres défrichées" en 1932. Vingt-huit ans plus tard sera publié le second, dans un pays qui a perdu ses illusions quant au communisme triomphant. Pourtant le succès sera au rendez-vous avec 20 millions de livres vendus, puis le prix nobel de littérature en 1965.
Cholokhov écrit avec ce style paradoxal des grands écrivains : descriptions soignées et senties de la nature sauvage, dialogues brutaux et réalistes des paysans, néologismes délirants réservés aux esprits enfumés comme Choukar ou Makar. Il use aussi de cette approche russe fataliste qui dédramatise et instille un humour acide.
Respectueux des anciennes règles d’unités : tout se passe en six mois essentiellement dans le village de Gremiatchi-Log, le récit tourne autour d’une demi-douzaine de personnages principaux qui œuvrent pour ou luttent contre la réussite du kolkhoze. Car le roman parle de la dékoulakisation, mais d’un point de vue subtil, qui lui permet d’être publié sous Staline comme un auteur du peuple.
Les personnages sont humains, imparfaits et les limites du système soviétique sont clairement visibles dans cette histoire réaliste et rurale. Au fil du temps, les communistes comme les russes blancs se perdent dans leur œuvre politique et cèdent chacun à une forme de folie, amoureuse, colérique, paranoïaque, solitaire, prolixe, violente, … Seul le président du soviet Razmiotnov conserve une forme d’équilibre qui lui permettra de survivre en fin de compte. C’est selon moi aussi le point faible du deuxième tome qui fait la part belle aux caractères russes dans leur extravagance : l’amour prend sa place, mais la folie obsessionnelle également, souvent pour la trivialité.
À la fois touchante par l’humanité de ses personnages et intelligente dans son recensement objectif d’un moment unique dans l’histoire, "terres défrichées" est une œuvre rare, étonnante, dont le succès en Russie avant et après Staline démontre l’intemporalité et la vérité.