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Les raisins de la colère
Difficulté ***
Profondeur ***
Originalité ****
Emotions *****
Symbole littéraire de la crise économique, « les raisins de la colère « est l’un des livres les plus vendus au monde (15 millions d’exemplaires) et classé 10ème des 100 romans de langue anglaise du 20e siècle. Le titre est un des plus noirs de la BE et décrit sans fard la tragédie d’une famille américaine contrainte de quitter l’Oklahoma pour trouver du travail durant la grande dépression.
L'’écriture est authentique dans les dialogues jusqu’à déformer la langue anglaise en une phonétique redoutable pour un étranger. D’abord mis à distance, le lecteur s’intègre via cette étrange musique verbale dans l’atmosphère locale et paradoxalement se rapproche des personnages, alors qu’ils deviennent persécutés par leurs congénères.
Steinbeck, prix nobel de littérature, va alterner les tranches de vie de cet exil toujours plus douloureux avec des analyses du système posées comme des scansions religieuses : de courtes phrases répétées légèrement modifiées pour expliciter de façon simple et prégnante les causes de la grande dépression.
Dans la tradition du roman christique, Steinbeck dote ses personnages de qualités morales élevées qui forcent le respect et déclenchent l’émotion. Ici le destin frappe durement des personnages méritants et touchants sans figure de style qui atténuerait l’impact émotionnel sur le lecteur. Sa description de la souffrance passe certes par les troubles de la faim et de la misère mais surtout par les violences psychologiques : la nostalgie d’un passé organisé et rassurant, les humiliations croissantes des gens de pouvoir et de la pauvreté, la peur de la mort, bien présente. Les personnages, joliment définis, se comprennent beaucoup par leurs relations, savoureuses, sarcastiques et tendres. Leur variété, en âge, en résilience, en maturité, permet de décrire toutes la palette des dégradations égotiques causées par l’abandon de leur monde, terre, maison et amis. Le lecteur aura du mal à ne pas retrouver sa psyché et celle de ses proches dans cette famille pourtant réaliste. Choqué par l’inhumanité des personnes externes à cet exil forcé, il finira par ressentir la colère promise dans le titre.
L’aspect politique ne doit pas être négligé et la réalité crue d’une main d’œuvre en surnombre dans une région agricole dirigée par des fédérations impitoyables justifie la création des syndicats. Car l’anticommunisme primaire des États-Unis exprime toute sa violence dans le récit. Steinbeck délivre un pamphlet humaniste inattaquable qui touche au coeur et à l’esprit, plus angoissant que "l’archipel du goulag" car beaucoup plus proche de notre réalité.L’approche sociale, inspirée de l’existence de l’auteur, est nourrie d’un réalisme et d’une justesse rares que peu d’auteurs peuvent approcher. D’autres ont décrit la tristesse de front (Flaubert, Woolf, Bronte) ou raconté la misère sociale (Faulkner, Zola, Kerouac), mais Steinbeck les dépasse par son réalisme poétique.
Il est l’héritier littéraire des naturalistes à maints égards et « les raisins de la colère » représentent son chef d’oeuvre. Le drame le plus fort de la BE.
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