Hurlevent
Difficulté ****
Profondeur **
Originalité ***
Emotions ***
La famille Brontë est un cas unique dans l’histoire de la littérature : 3 sœurs écrivent des chef d’œuvre reconnus, presque simultanément. Le « Jane Eyre » de Charlotte aurait pu apparaître dans la BE, mais le « Hurlevent » d’Emily, son unique roman, a marqué plus profondément, notamment des artistes comme Virginia Woolf, Patti Smith ou Joseph Conrad.
Les procédés narratifs utilisés par Brontë dynamisent le récit à l'instar de Conrad ou Shelley : des personnages plus ou moins extérieurs à la tragédie racontent celle-ci telle qu’ils l’ont reçue des véritables acteurs.
L’utilisation des noms et des prénoms apporte également une dimension mystique et troublante ; tel Marquez dans « Cent ans de solitude », l’auteur n’hésite pas à nommer des personnages par leur nom alors que leurs descendants portent le même, à choisir le même prénom pour deux héroïnes, à multiplier les assonances entre les prénoms masculins (Heatchliff, Hareton, Hindley, Earnshaw), a prénommer le dernier Linton de son propre nom pour finir le cycle de cette famille.Brontë génère ainsi un doute permanent sur l’identité des personnages, assumé par les acteurs eux-mêmes : ainsi Catherine dit être Heatchliff, ce dernier se voit en Hareton et ne supporte pas les ressemblances entre les deux Catherines.
Le style classique de Brontë sied parfaitement à cette histoire ancrée dans un monde semi médiéval. Mais elle sait aussi écrire des dialogues brutaux, cohérents dans l’univers rural et isolé de « Hurlevent ». Le personnage égoïste et fanatique de Joseph incarne parfaitement cette nature primitive et violente.
Le rythme du récit souffre dans la deuxième partie de la répétition des décès, des excès et des maladies : une impression de cyclicité sans fin atténue l’intérêt, malgré l’apparition de la violence physique de Heatchliff dans les derniers chapitres.
L’empathie est rare : les personnages infâmes sont nombreux (Hindley, Hareton avant les dernières pages, Linton, Joseph, Heatchliff) et les victimes trop volontaires (les deux Catherine, Isabelle, Frances, Edgar). Finalement seuls les deux narrateurs nous touchent par leur humanité et leur force de caractère.
Aussi l’émotion ne passe pas et le sentiment d’observer un asile d’aliénés dénués d’humour finit par peser. Les amoureux du roman citent la passion comme énergie du récit mais la folie prédomine et on oublie vite l’amour initial dont la description n’est pas assez forte pour marquer le lecteur.
Il est étrange de constater que la vie réelle des Brontë, montrée brillamment au cinéma, est finalement plus touchante, belle et triste que leur œuvre, pourtant fortement teintée d’autobiographie. Dans le cas de « Hurlevent », la radicalité de l’histoire et des personnages emporte le lecteur dans une dimension sombre et désolée, qui inspire à la fois incompréhension et répulsion. Si le roman avait choqué l’Angleterre victorienne, le lecteur moderne sera plutôt interloqué par la passivité des acteurs face au sadisme d’Heathcliff. Ce dernier exerce d’ailleurs plutôt une torture psychologique sur ses proches qu’une véritable violence.
Ce romantisme noir est réservé aux amateurs d’une littérature sombre, ancienne et rugueuse.