top of page
IMG_1878_edited.jpg

Diadorim

Difficulté ****

Profondeur ****

Originalité ****

Emotions ***

L'unique roman de l'auteur brésilien João Guimarães Rosa a fait de lui le plus grand écrivain brésilien et une référence continentale avec Borges et Garcia Marquez. Le Cercle norvégien du livre l'a sélectionné dans sa liste des 100 meilleurs livres de tous les temps, Varga Llosa en a fait la préface, saluant le succès instantané du titre auprès des brésiliens.

Comparée à « Don Quichotte », « Faust » ou « l’Enéide », cette œuvre originale, beaucoup plus moderne et réaliste, développe une profondeur et des émotions que les deux dernières ne peuvent approcher. Cet épais roman déroule les souvenirs du narrateur : Riobaldo et ses années passées en tant que jagunço dans l'environnement hostile du sertão. Le jagunço appartient à une bande de cavaliers armés, la plupart du temps en conflit contre une autre. Même si chacun pense lutter pour la paix et le bien de la région, malgré pillages et destructions, la position morale des uns et des autres n’est pas tranchée. Ainsi la capture de l’adversaire peut mener à sa libération, puisqu’on n’a rien à lui reprocher, que de faire la guerre. Cette ambiguïté morale traverse l’œuvre d’un trait sanglant mais léger. 

 

Le style de Guimaraes Rosa est unique : il empile les phrases courtes, comme un Proust sous cocaïne, dans un rythme effréné et nerveux. A l’instar de « cent ans de solitude », cela complique la lecture, dans un tourbillon de pensées, de descriptions et de dialogues transcrits. La boucle des réflexions du héros, couplée aux listes de compagnons et aux fréquentes descriptions de paysage, alourdit en effet le propos, notamment au milieu du récit. Mais cette plume participe d’une forme de folie générale qu’est cette vie de « jagunço », libre et violente. Elle s’accordera parfaitement aux dérives « satanistes », égotistes et cycliques du narrateur. Elle rend ainsi justice à un monde ancien et différent. 

 

Narrée par un esprit fragile, l’histoire ne tourne qu’autour du conteur lui-même, son alter ego mystérieux Diadorim et deux archétypes : les chefs et les femmes. Tous les compagnons, bien que nommés et détaillés, font partie du décor, qui est lui-même un personnage à part entière : le sertao, sa faune, sa végétation, ses reliefs. Parfois diabolisée, souvent incarnée, cette nature sauvage inspire le héros et le nourrit. Les chefs de bande le ramènent à l’humain, avec leur gestion des troupes, leurs objectifs de vie, leurs stratégies de lutte. Les femmes enfin ne connaissent longtemps que deux facettes, références bibliques : la vierge et la putain. Dans ce monde masculin de la jungle brésilienne du 19e siècle, on n’en sera pas étonnés. Mais le narrateur ne juge pas et aime avec le même respect les unes et les autres. De plus, les dernières pages viendront montrer le courage et la résilience de deux femmes, bien au-delà des qualités masculines. 

 

Les thématiques majeures sont présentes : sens de la vie et de la mort, amour, sexe, rapport de force, violence, respect, intelligence, existence du diable, liberté, justice, fraternité, … Mais pouvoir et folie sont clairement les sujets les mieux développés et les plus intéressants de l’œuvre. Ainsi la progression du héros vers le commandement, qu’il refusait initialement, permet une fine comparaison entre le statut de soldat et celui de chef. La proximité récurrente du narrateur avec ses supérieurs ajoute tous les détails nécessaires à la réflexion sur la notion de hiérarchie. Le « coup » de Riobaldo contre Ze Bebelo démontre l’instabilité de la position, qui fragilisera ensuite mentalement le héros, toujours contraint à la perfection devant ses hommes. On constatera avec ironie que le narrateur perd contact avec la réalité peu avant son auto nomination comme chef, devenant le « crotale blanc », surnom dément, et ne retrouvera ses sens qu’en quittant ses hommes. Contrairement à d’autres anti héros comme Don Quichotte, Riobaldo est plutôt sain d’esprit, épris de liberté et amoureux de la vie. Mais la guerre et la mort, le manque de sens transmis par ses chefs et l’amour de Diadorim l’amènent à construire une version de lui-même gonflée d’ego, de confiance et de colère. Aussi ces deux thèmes forts, pouvoir et folie, s’entrelacent à la fin de l’œuvre pour en troubler la compréhension.

 

L’œuvre est épaisse et touffue, mais déroule son dernier tiers sur un rythme endiablé : vengeance, drame, folie, amour, tout y est. Aussi le lecteur sera récompensé de ses efforts et reviendra, épuisé mais grandi, de ce périple exotique et sauvage conté par un esprit troublé et libre. Méconnu, mais brillant.

  • Facebook
  • Twitter
  • LinkedIn

© 2022 par Locke. Créé avec Wix.com

bottom of page